Comment poser le problème en
philosophie
La difficulté de la définition de la philosophie s’étend
également à la difficulté de position (le fait de poser) des problèmes
philosophiques, la complexité des questionnements philosophiques ayant une
influence particulière sur la manière dont les philosophes posent les
problèmes. Il y a peu de consensus sur ce que devrait être la manière idéale de
poser le problème en philosophie. Heureusement, certains philosophes ont fait
l’effort de ressortir quelques problèmes spécifiques à la philosophie et ont
également fait l’effort de les poser en des termes philosophiques. Un exemple
en la matière est Les problèmes de
philosophie, un recueil de réflexions menées par le philosophe anglais
Bertrand Russell et publié en 1912.
A la lecture de ce texte, l’apprenant devrait donc être
capable de ressortir les exigences que toute position du problème devrait
respecter si elle veut prendre un caractère philosophique.
Je vais ici me limiter à deux exemples qui ont un lien étroit
avec la définition de la philosophie déjà amorcée par votre professeur.
Problème n° 1 : De
l’apparence et de la réalité
Vous avez certainement abordé ce problème en étudiant
l’allégorie de la caverne qui se trouve au livre VII de La République de Platon.
Russell pose le problème en ces termes : Existe-t-il dans le monde une forme de
connaissance qui soit si certaine qu’aucun homme raisonnable ne puisse en
douter?
Cette manière de poser le problème donne déjà quelques
indications sur la nature des problèmes philosophiques :
1)
Ils
ont généralement la forme interrogative (remarquez le point d’interrogation à
la fin de la phrase)
2)
Ils
portent sur des objets réels et non fictifs ou imaginaires (existe-il, dans le
monde)
3)
Ils
portent souvent sur une possibilité ou une impossibilité logique ou rationnelle
(certaine, puisse en douter). Il faut noter que les questions de possibilité ou
d’impossibilité factuelle relèvent non pas de la philosophie mais de la
science. Par exemple, si je dis : est-il possible qu’un liquide porté à
100° de température ne soit pas en ébullition ? La réponse à cette
question relèvera d’abord de l’expérience, pas de l’analyse du concept
d’ébullition ou de liquide. Dans le cas ci-dessus, la solution au problème tel
que posé par Russell viendra avant tout de l’analyse de la notion de
connaissance et du rapport entre ce que nous disons connaitre et ce que nous
percevons ou ce qui est effectivement.
4)
Ils
consistent souvent à transformer ce que tout le monde admet comme allant de soi
en une question. Par exemple, nous admettons que nos sens sont l’unique moyen par
lequel nous accédons à la connaissance du monde. Le philosophe posera alors
cette question : nos sens sont-ils l’unique moyen par lequel nous accédons
à la connaissance du monde?
NB : En des termes plus classiques cependant, les sujets
philosophiques qui portent sur un couple de notions, l’apparence et la réalité
dans le cas présent doit susciter les questions suivantes chez
l’apprenant :
a.
Une des notions est-elle une
sous-notion de l’autre ?
Dans ce cas-ci, vous aurez : l’apparence est-elle une
forme de réalité ? et la réalité est-elle une forme d’apparence ?
b.
Les deux notions sont-elles
complémentaires ou mutuellement exclusives ? et quel est le genre sous
lequel leur complémentarité ou leur exclusivité se définit ?
Dans ce cas-ci, quelle est la catégorie sous laquelle
l’apparence et la réalité sont rangées ? Cette catégorie est celle de
l’épistémologie prise au sens large de théorie de la connaissance. Dans ce cas
précis, il s’agit surtout de notre perception du monde extérieur à travers nos
sens. Les informations que nous donnent nos sens sont-elles seulement le reflet
(la copie) du monde extérieur ou au contraire ce monde en lui-même ou
finalement un mélange des deux?
La manière dont Russell pose le problème n’est donc pas loin
de là, ce qu’il dit en d’autres termes c’est : les connaissances que nous
acquérons sur le monde sont-elles si sûres, qu’il n’y ait aucune possibilité de
les remettre en question?
Problème n°2 : Les
limites de la connaissance philosophique
Russell dit :
« Plusieurs philosophes (si ce n’est la plupart) disent
être capables de prouver, a priori,
les dogmes fondamentaux de la religion, la rationalité essentielle de
l’univers, le caractère illusoire de la matière, l’irréalité du mal, etc. (…) Il
semble pourtant que les preuves concernant l’univers dans sa totalité,
s’appuyant sur les lois de la logique et affirmant la nécessité et l’impossibilité de certaines
choses, ne peuvent être fournies par la métaphysique (philosophie) et que de
telles preuves ne résistent pas à l’examen. »
Cette manière de poser le problème est très différente de la
première car vous n’avez ici aucun signe apparent d’interrogation. Ce que
Russell fait, c’est simplement de relever une thèse récurrente chez les
philosophes et de la questionner, même si ce questionnement ne prend pas la
forme d’une interrogation directe.
Toutefois, il faut relever que même si ce type de position du
problème ne fait ressortir aucun signe apparent d’interrogation, il contient
tout de même une interrogation sous-jacente, celle du fondement de la pensée
commune. Dans sa formulation en effet, Russell commence par dire ce qui est
communément admis par la majorité (« si ce n’est la plupart »). On
appelle ceci le présupposé du sujet.
Si par exemple vous avez le sujet suivant : La
philosophie est-elle inutile?, le présupposé sera qu’il est communément admis
que la philosophie est inutile. Il est évident qu’on vous demande de
questionner la thèse de l’inutilité de la philosophie, en d’autres termes de
dire s’il peut y avoir une quelconque utilité de la philosophie. Il faudra donc
commencer par prendre un exemple de thèse démontrant l’inutilité de la
philosophie, dire que cet exemple n’en est qu’un parmi tant d’autres et enfin
s’interroger sur la solidité d’une telle thèse. Si vous procédez de la sorte,
on pourrait par exemple intituler votre dissertation, si c’était un article,
"de l’utilité de la philosophie".
De même, si nous retournons à la formulation du problème tel
que proposée par Russell, il est évident que son sujet de départ était :
« la philosophie peut-elle tout connaitre ? ». Il a donc pris
pour présupposé que « la philosophie peut tout connaitre (y compris les
lois fondamentales de l’univers) » et a posé le problème en questionnant
le fondement de ce présupposé. Si la philosophie ne peut tout connaitre, c’est
qu’elle est peut-être limitée ; c’est la raison pour laquelle il a donné à
sa dissertation le titre : Les
limites de la connaissance philosophique.
En guise de conclusion
Les problèmes philosophiques ont souvent la forme d’une
interrogation, celle-ci peut être directe mais peut aussi consister à
simplement questionner une pensée commune ou une thèse qui s’est répandue à
travers le temps. Dans ce deuxième cas, on pose le problème en questionnant le
fondement du présupposé du sujet.
Le questionnement philosophique porte non pas sur les
possibilités factuelles ou a posteriori (à
la suite des faits) mais sur des possibilités a priori (avant l’expérience). Il faut donc que l’élève soit
capable de bien analyser les mots qui constituent le sujet afin de voir s’il y
a un décalage entre ce qu’on entend par ce mot et la réalité qu’elle désigne.
Les possibilités a priori sont
nécessaire car elles ne dépendent d’aucune expérience pour acquérir leur
solidité. Les possibilités a posteriori
par contre restent contingentes et ne sont solides que dans une certaine
mesure. La difficulté nait alors lorsqu’une possibilité présentée comme a priori est au fond a posteriori.
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