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Platon, le but de la politique consiste à faire changer les hommes en bien

Platon, le but de la politique consiste à faire changer les hommes en bien


En ce début d’année où votre professeur s’attèlera à définir la philosophie et à la distinguer d’autres disciplines, vous devriez également faire face à une question majeure que le profane pose tout le temps au philosophe : la philosophie sert-elle à quelque chose ?
Bien que les philosophes soient unanimes sur le fait que la philosophie sert à quelque chose, ils sont cependant très divisés sur la question de savoir en quoi consiste ce service. Dans un ouvrage célèbre, La République, d’où est notamment extrait le mythe de la caverne, Platon (philosophe grec de l’antiquité) montre que la philosophie a pour but d’amener les gens à changer de comportement. Il atteste ainsi de la dimension politique de la philosophie (la philosophie n’a de sens que lorsqu’elle est vécue dans une cité d’hommes sur lesquels elle peut avoir un impact). Dans les lignes qui suivent, nous essayons de présenter quelques éléments qui prouvent qu’en écrivant cet ouvrage, le but majeur de Platon/Socrate (votre professeur vous expliquera cette formule) est de convaincre les hommes que la nature de la philosophie/politique consiste, pour les élites/ éclairés/ savants, à faire changer, en bien, le bas peuple.
La République a été écrite pendant la montée de la littérature populaire. Pendant la première moitié du IVè siècle quand La République fut composée, la plupart des grecs n’avait pas le niveau d’éducation requis pour la compréhension des textes trop sophistiqués. Avant le Vè siècle, la littérature était monopolisée par les aristocrates et le bas peuple n’avait pas nécessairement accès aux contenus écrits. Mais il semble que certains changements aient eu lieu, notamment grâce à la circulation de certains poèmes dont la lecture contribua à en rendre les auteurs célèbres. Il n’en demeure pas moins que la cible privilégiée (mais pas exclusive) de La République était la classe des élites à double titre, d’une part parce que ce sont ceux-ci qui sont le plus souvent appelés à prendre des décisions et d’autre part parce que Platon pensait que les nobles étaient les plus à même de l’aider dans son combat contre la démocratie. On ne s’étonnera donc pas que Glaucon et Adimante fassent partis de la classe des nobles. Donc, si La République a été influencée par le contexte culturel de l’époque qui voulait  que les textes soient rendus accessibles aux non-experts, il est cependant à plusieurs niveaux incrusté d’arguments très techniques visant à en préserver, dans une certaine mesure, le caractère élitiste. C’est par exemple le cas avec la loi mathématique de la procréation qui explique la dissolution de la cité juste. Il y a donc dans La République une mixité d’audience, l’ouvrage s’adressant aux nobles d’une part et au bas peuple d’autre part.
Un autre argument qui montre bien que le but même de La République est d’inviter à changer c’est que la forme du discours choisie, le débat, est largement différente de la forme que la plupart des textes philosophiques avaient pris jusque-là. Avant La République en effet, les textes philosophiques étaient surtout des traités spécialisés portant sur la nature, la vérité, l’être, etc. En changeant de perspective et en prenant un non professionnel, Socrate, il montre ainsi que le changement ne devrait pas se limiter seulement à la classe des élites mais s’étendre à tous. Ce rééquilibrage est manifeste si l’on compare, dans le Livre I, les deux figures de Socrate (le non-professionnel) et Thrasymaque (le grand Sophiste).
La conception de La République comme ouvrage protreptique va finalement conduire Platon à concevoir le philosophe comme l’expert  dont la mission est de faire changer le peuple. C’est à dessein que Platon utilisera la formule « Philosophe-Roi », attestant ainsi de la liaison nécessaire entre la philosophie et la cité. Platon invite donc finalement ses lecteurs à confier le pouvoir politique au philosophe.
Cette capacité à faire changer d’avis à quelqu’un est ce qu’on nomme protreptique, du grec protreptein (faire avancer, aller de l’avant). La protreptique n’est pas un type de discours à proprement parler, il s’agit plutôt du type de fonction que l’auteur entend faire jouer à son écrit. Certains écrits consistent seulement à informer ou à formuler des chaines de raisons pour démontrer d’une certaine capacité argumentative. Un texte a une valeur protreptique lorsque le but de l’auteur est de se servir de l’argumentation pour faire changer d’avis à son lecteur, l’inviter par exemple à rechercher la sagesse ou la justice. Dans le cas précis de La République, le but de l’auteur est implicite puisqu’il ne s’adresse pas directement à son lecteur. Mais il est tout à faire clair que le but de Platon est de faire changer d’avis à son lecteur sur la définition de la justice, épurer ce concept afin de distinguer la justice véritable de la fausse justice. On peut résumer le but de Platon ici en disant que son intention est de faire comprendre à son lecteur que la justice est toujours plus profitable que l’injustice.
Dans la perspective susindiquée, la voix de Socrate et ses réponses aux contradicteurs dans le texte peut servir de modèle de réponse au lecteur qui, soucieux lui-aussi de défendre la justice contre des personnes injustes, serait à court d’arguments. On peut voir le discours de La République comme une continuation du discours de L’Apologie de Socrate puisque l’une des raisons pour lesquelles Socrate est condamné est effectivement d’avoir exhorté les athéniens à changer ; on l’accusait, nous rapporte Platon, d’avoir corrompu la jeunesse. Or il est clair que pour Socrate/Platon, cette exhortation au changement est un commandement divin (Apologie 30a) auquel Socrate ne pouvait se dérober, la considérant comme l’essence même de la philosophie (Apologie 29d-30b).
S’il y a donc une caractéristique majeure de La République, en conformité avec son caractère protreptique, c’est que la justice que Socrate essaye de définir est quelque chose dont-il a déjà une assez bonne idée. Plutôt que de rechercher une chose dont il ne reconnaitrait rien au cas où il la trouverait, Socrate essaye plutôt de convaincre ses interlocuteurs que les idées qu’ils se font de la justice ne sont pas les bonnes. Le premier à qui il va essayer de faire changer d’avis est Thrasymaque dont la conception erronée de la justice est présentée au livre I. Pour l’aider à changer d’avis, Socrate commence par construire au livre II, une cité bonne, par analogie à l’individu bon. La cité qu’il construit ainsi est celle que Glaucon appelle la cité des cochons, compte tenu de la simplicité de ses habitants. Socrate pense déjà que c’est là l’image véritable d’une  cité bonne mais consent tout de même à examiner la cité luxueuse que Glaucon a en esprit, essayant, dit-il, de voir comment la justice et l’injustice sont engendrées dans la cité. Contre Glaucon, Socrate affirme que la cité juste doit être une cité dans laquelle les habitants se contentent du nécessaire (372e). Or, dans la cité envisagée par Glaucon, les habitants chercheront à obtenir plus que ce qui est nécessaire, faisant ainsi naitre des injustices dans la cité (373e). On verra plus loin que même la nécessité de l’existence des gardiens viendra de l’exigence de canaliser ces désirs des hommes à obtenir plus que le nécessaire.



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